ISOMURA Eiichi - Sociological analysis of City and Urbanization.pdf

De Vanlindt Marc
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Note de Synthèse : Analyse Sociologique de la Ville et de l'Urbanisation

Synthèse Exécutive

Ce document de synthèse expose l'analyse sociologique de la ville et de l'urbanisation proposée par Eiichi Isomura, professeur à l'Université Métropolitaine de Tokyo. L'analyse, présentée dans le contexte de sa présidence d'un symposium de la Société Japonaise de Sociologie en 1961, critique les approches existantes, jugées trop étroites et trop dépendantes des modèles américains et des perspectives écologiques.

Isomura soutient que l'essence de la société urbaine moderne ne réside pas dans la simple concentration démographique, mais dans la séparation structurelle entre le domicile et le lieu de travail. Ce phénomène, loin d'être un signe de désintégration sociale, engendre une nouvelle "sphère de vie" caractérisée par la mobilité quotidienne des individus. Cette mobilité crée des "zones intermédiaires" (transports, lieux de divertissement, installations publiques) où se manifeste une "société de masse" anonyme et hétérogène.

L'auteur affirme que la tâche du sociologue est d'étudier le mouvement d'un même individu à travers ces sphères distinctes (domicile, travail, zones intermédiaires) pour comprendre la formation d'une personnalité urbaine unique. Il déplore cependant l'absence au Japon d'une véritable "citoyenneté" (citizenship) et d'un "urbain" (tokaijin) authentique, un phénomène qu'il attribue à l'"idéologie du Honseki" (le maintien du registre familial officiel à la campagne), qui empêche l'émergence d'une identité et d'une société civile pleinement ancrées dans la ville.

Enfin, Isomura propose un cadre d'analyse intégré pour les études urbaines futures, invitant à examiner les villes non seulement à travers les processus d'"industrialisation" et de "modernisation", mais aussi à travers le prisme horizontal de la "stratification sociale", particulièrement visible dans les disparités de consommation.

1. Critique du Symposium et des Cadres Théoriques Existants

L'analyse d'Isomura prend racine dans une critique du symposium de 1961 sur la "Théorie de l'Urbanisation", qu'il a présidé. Il déplore le manque de préparation des participants et une confusion conceptuelle qui a obligé les débats à revenir à la question fondamentale : "Qu'est-ce qu'une ville ?".

Limites des Définitions Actuelles

Isomura souligne les lacunes des cadres théoriques dominants :

Débats Terminologiques : Une confusion persiste entre les termes "urbanisation" et "urbanisme", illustrée par les définitions opposées de Louis Wirth et du duo Queen-Carpenter.

Dépendance aux Modèles Américains : Les études urbaines, y compris au Japon, s'appuient trop fortement sur les travaux de sociologues américains comme Louis Wirth. Bien qu'il reconnaisse le mérite de Wirth d'avoir dépassé une approche purement écologique en intégrant les dimensions de l'organisation sociale et de la personnalité, Isomura note que ce modèle ne parvient pas à expliquer les relations entre ces différentes dimensions et n'est pas universellement applicable, comme le soulignent des critiques tels que Gideon Sjoberg.

Prédominance de l'Approche Écologique : Une tendance, particulièrement chez les sociologues ruraux japonais, consiste à analyser la société urbaine principalement à travers le prisme du lieu de résidence. Cette perspective, centrée sur la communauté de voisinage, ne parvient pas à saisir la complexité des relations fonctionnelles qui caractérisent la vie urbaine moderne, les qualifiant à tort de "non-communautaires".

2. La Structure Fondamentale de la Société Urbaine Moderne

Pour Isomura, le trait distinctif fondamental de la ville moderne est la séparation physique et fonctionnelle entre le domicile et le lieu de travail, un processus induit par l'industrialisation.

La Séparation Domicile-Travail

Ce phénomène n'est pas interprété comme une désintégration de la communauté, mais comme la base d'une nouvelle forme d'organisation sociale.

Le Rôle du Trajet Domicile-Travail ("Commuting") : Les déplacements quotidiens créent des liens constants et structurés autour du lieu de travail. Ces relations ne sont pas purement utilitaires (gesellschaft), mais incluent également des formes de familiarité et de relations personnelles ("najimi").

Différence avec le Monde Rural : Si le "commuting" existe aussi dans les zones rurales périurbaines, le centre de vie des individus reste ancré dans la communauté rurale, le travail en ville étant une activité subordonnée. Dans la ville, c'est la relation au travail qui devient prédominante.

Création d'une "Sphère de Vie" : La séparation domicile-travail engendre une nouvelle "sphère de vie" (seikatsuken), qui constitue un élément central de la société urbaine moderne.

Transformation des Communautés de Voisinage

Cette nouvelle structure entraîne une mutation profonde de la communauté locale.

De la Communauté "par le Haut" à la Communauté "par le Bas" : Historiquement, les communautés japonaises étaient structurées "par le haut" (autorités politiques, temples, sanctuaires). L'émergence de grands ensembles résidentiels (danchi) favorise la création de nouvelles solidarités "par le bas", plus autonomes, souvent organisées autour des districts scolaires et des associations de parents d'élèves (PTA).

La Réforme du Système d'Adressage : Isomura considère la loi sur la réorganisation des adresses résidentielles comme une "réforme agraire dans la ville". En remplaçant un système basé sur des divisions héritées du pouvoir féodal (noms de daimyos, de propriétaires terriens) par un système rationnel basé sur les rues et les îlots, cette réforme modifie en profondeur les relations sociales et contribue à la formation d'une communauté moderne.

3. La "Zone Intermédiaire" et la Formation de la "Société de Masse"

Isomura introduit le concept de "zone intermédiaire" (chūkan chitai) pour désigner les espaces qui ne sont ni le domicile ni le lieu de travail, mais qui sont créés et rendus nécessaires par la séparation entre les deux. C'est dans ces espaces que se révèle le caractère unique de la société urbaine.

Composantes de la Zone Intermédiaire

Cette zone est constituée de trois éléments principaux :

1. Les Moyens de Transport : Les chemins de fer, les métros, les voitures, etc., qui permettent la mobilité quotidienne.

2. Les Lieux de Divertissement et de Consommation : Appelés sakari-ba, ils incluent les parcs, les places publiques, les rues commerçantes et les quartiers animés.

3. Les Installations Publiques : Salles de spectacle, cinémas, musées, cabines téléphoniques, toilettes publiques, etc.

La Ville comme "Société de Masse"

Ces zones intermédiaires sont le théâtre d'une "société de masse" (taishū shakai), dont Isomura emprunte les caractéristiques à Louis Wirth :

• Grande concentration de personnes.

• Hétérogénéité des membres.

• Anonymat des individus.

• Absence d'organisation d'ensemble.

• Absence de modèles de comportement communs.

• Indifférence mutuelle entre les membres.

Selon Isomura, ces traits décrivent parfaitement l'état des individus dans les transports en commun, flânant dans un sakari-ba ou assistant à un spectacle. L'enjeu sociologique crucial est de comprendre que c'est le même individu qui se déplace continuellement entre la sphère privée du domicile, la sphère professionnelle du travail et la sphère anonyme de la "société de masse".

4. La Personnalité Urbaine et le Défi de la "Citoyenneté" au Japon

L'analyse d'Isomura dépasse la simple structure physique pour aborder la dimension socio-psychologique : la formation d'une personnalité urbaine.

L'Absence de l'"Urbain" Authentique

Isomura déplore le faible intérêt des études pour la figure de l'"urbain" (tokaijin) et pour le concept de "citoyenneté" (shiminsei ou citizenship). Il identifie un obstacle majeur propre au Japon :

L'"Idéologie du Honseki" : Le Honseki est le registre familial officiel, qui, pour une majorité d'habitants des grandes villes comme Tokyo, reste administrativement situé dans leur région rurale d'origine. Cette persistance d'un ancrage idéologique et administratif à la campagne empêche le développement d'une identité pleinement urbaine (par exemple, "être Tokyoïte").

Conséquence sur la Société Civile : Tant que cette "idéologie du Honseki" prévaut, la naissance d'une véritable "société civile" (shimin shakai) basée sur l'autonomie des résidents est entravée. Cela constitue une différence fondamentale avec l'expérience urbaine européenne et américaine, où les notions de "citoyen" et de "société civile" sont centrales.

5. Axes de Recherche Futurs : Stratification et Cadre d'Analyse

Pour conclure, Isomura appelle à un enrichissement des cadres d'analyse de la ville.

L'Analyse Horizontale par la Stratification

Au-delà de l'analyse "verticale" centrée sur les processus (modernisation, industrialisation), il est nécessaire d'adopter une perspective "horizontale" axée sur la stratification sociale (kaisōka).

Les Disparités de Consommation : La ville est le lieu de contrastes extrêmes en matière de consommation, qui sont le reflet direct de la stratification. Isomura illustre ce point en opposant un steak à 2 000 yens à des brochettes de poulet (yakitori) à 10 yens, ou une bague en diamant à 200 000 yens à une perle de verre à 100 yens.

Impact Social des Disparités : Ces écarts peuvent être un stimulant pour le progrès social, mais aussi un facteur de frustration et de comportements antisociaux pour ceux qui ne peuvent accéder aux standards de consommation dominants.

Proposition d'un Cadre d'Analyse Intégré

Isomura suggère de positionner les phénomènes urbains concrets en combinant quatre processus interdépendants.

Processus Dimension Description
Urbanisation Spatiale / Organisationnelle Processus de changement lié à la formation et à l'organisation de la communauté territoriale urbaine.
Modernisation Historique / Idéologique Processus de changement lié à la formation d'une société civile, à l'établissement de la citoyenneté et à l'évolution des mentalités.
Industrialisation Fonctionnelle / Technologique Processus moteur qui cause et résulte des deux premiers, lié au développement des techniques de production et de communication.
Stratification Fonctionnelle / Sociale Processus de différenciation sociale horizontale (par la consommation, la profession, etc.) qui influence et est influencé par les autres processus.

En utilisant ce cadre, Isomura espère que la recherche japonaise pourra développer une compréhension plus nuancée et plus complète de la complexité des sociétés urbaines.